Cinétiques Enzymatiques

PARTIE 2 : LES INHIBITEURS ENZYMATIQUES

INTRODUCTION

De nombreuses substances et circonstances sont capables d'inhiber l'activité des enzymes, c'est-à-dire de diminuer la vitesse de catalyse. Tout d'abord, les enzymes sont dénaturées par les hautes températures (sauf les enzymes thermophiles), les pH extrêmes (là encore sauf exception), et certaines substances chimiques particulièrement dénaturantes pour les protéines, comme le dodécylsulfate de sodium (dont c'est l'effet recherché en électrophorèse dénaturante), et certains solvants organiques comme l'acétone et l'éthanol à titre élevé. Dans tous ces cas, les structures secondaires et tertiaires des protéines enzymatiques sont suffisamment désordonnées pour ne plus permettre la formation d'un centre actif. L'inactivation enzymatique sera concentration-dépendante, ou dépendante de la température ou du pH de dénaturation, et temps-dépendante, ce qui correspondant au temps nécessaire à faire disparaître progressivement les liaisons faibles responsables de la stabilité des structures secondaires et tertiaires. Ces inhibitions sont irréversibles. On retrouve de tels effets concentration et temps-dépendant irréversibles avec l'emploi des bloqueurs chimiques du site actif. Ils réalisent une inhibition covalente stable, suivant une cinétique de pseudo-ordre 1. Il s'agit essentiellement de réactifs chimiques de groupes réalisant des liaisons de covalence avec les groupements réactionnels des sites actifs que sont le -OH des résidus sérine, thréonine ou tyrosine, le -SH du résidu cystéine, le -COOH des résidus acides aspartique et glutamique, et le -NH2 ou -NH- des résidus lysine, arginine et histidine. Ce n'est pas un hasard que ces résidus soient aussi ceux responsables de la liaison du substrat dans le centre actif et des mécanismes de la catalyse (revoir l'introduction). C'est ainsi que les protéases dites sérine-protéases (actives grâce à une sérine dans le centre actif) sont inhibées par le phénylméthylsulfonylfluorure (PMSF), réactif bloqueur des -OH des résidus sérine accessibles ; de même, les cystéine-protéases sont inhibées par l'iodoacétamide ou le N-éthylmaléinimide (NEM), réactifs bloqueurs des thiols ; ou encore, les aspartate-protéases sont inhibées par des carbodiimides, et les métallo-protéases par l'EDTA, agent chélateur des cations métalliques nécessaires à l'activité catalytique. On peut donc utiliser ces réactifs pour bloquer ces activités (ensemble par exemple dans un cocktail anti-protéases), ou pour caractériser une activité enzymatique (le PMSF inhibe les sérine-enzymes mais pas les cystéine-enzymes ni les aspartate-enzymes) ; par contre on devra les éviter si l'on veut déterminer l'activité enzymatique correspondante. Les chimistes ont développé des réactifs plus performants car plus sélectifs ; par exemple, en restant dans la famille des sérine-protéases, la trypsine est inhibée spécifiquement par la tosyllysylchlorocétone (TLCK) et la chymotrypsine par la tosylphénylalanylchlorocétone (TPCK), car seul le premier peut accéder au site actif à sérine de la trypsine, et le second celui de la chymotrypsine en mimant le résidu d'acide aminé reconnu par le centre actif, le résidu lysine pour la trypsine et le résidu phénylalanine pour la chymotrypsine. Quant à la chlorocétone, elle réalise la liaison de covalence stable avec l'histidine du centre actif, celle de la triade catalytique (Ser-His-Asp). Le groupement tosyle (toluène-sulfonyle), cible le centre actif hydrophobe des protéases. C'est ce qu'on appelle du marquage d'affinité.

En dehors de ces réactifs chimiques qui sont encore très utiles pour déterminer les mécanismes catalytiques et caractériser les enzymes, de nombreuses autres substances sont capables de se lier à l'enzyme, mais sans former de liaison covalente stable, et l'inhiber plus ou moins fortement selon la concentration de l'inhibiteur. De tels composés sont recherchés par l'industrie pharmaceutique, qui cible les enzymes dont l'inhibition porterait des vertus thérapeutiques. Donc beaucoup d'inhibiteurs sont des composés pharmacologiques, synthétiques ou parfois naturels ou encore hémi-synthétiques (modifiés chimiquement à partir de molécules naturelles). Leur liaison est réversible, comme celle du ou des substrats, donc on peut diminuer l'effet de ces inhibiteurs par dialyse (qui déplace l'équilibre de liaison) ou dilution (qui diminue la concentration d'inhibiteur, et ainsi déplace l'équilibre par la loi d'action de masse). Bien sûr les forces de liaison de ces inhibiteurs réversibles à l'enzyme sont du même ordre que celles liant le ou les substrats : des liaisons hydrogène, des liaisons électrostatiques (« ponts salins »), des interactions hydrophobes, et des forces de Van der Waals. Notons que si la constante de dissociation de l'inhibiteur à l'enzyme (Ki) est très basse, la liaison sera quasiment irréversible. Nous verrons que tous les inhibiteurs ne se fixent pas strictement au site actif, mais que tous ont un effet sur l'acte catalytique.

PlanRéalisé avec Scenari (nouvelle fenêtre)